Description
Le silence du mot silence (Phaéton): voilà la contradiction absolue, et c’est avec elle que Jeanclaude Berger a continué d’écrire, toujours menacé dans sa parole, et toutefois proférant le mot silence… Cette arrête d’une contradiction absolue, elle apparaît sous de nombreuses formes. J’en poursuis une, ici, particulièrement frappante, qui est celle du soleil. Dans Gravir la nuit déjà, on la trouve dans «ce mal vertical fouillant nos racines» qu’est le soleil, un soleil dans lequel on tombe quand on gravit le ciel, un soleil qui est le Père dans toutes les résonnances du terme, un père à la fois tout-puissant et stérile, à la fois taciturne et parlant, à la fois aveugle et obscur. S’il est clair que le premier sujet de cette poésie est la poésie elle-même – et, par conséquent, que la poésie est l’une des équivalences du soleil – il serait tout à fait insuffisant de s’en tenir là. Peu à peu, à travers les différents recueils, on voit que ce père est aussi identifiable au «je», et qu’usant de la parole et du silence, le poète reprend à son compte les attributions du père. Progressivement aussi, le père est mutilé, renié, déclaré stérile, et son sperme est non seulement perdu: il noie; il détruit. Cette évolution est particulièrement perceptible à travers une série de métaphores où le soleil devient «oeil», une sorte de vulve d’où naît le regard comme phallus, mais aussi, où les objets viennent se planter dans une relation – au niveau verbal – seule fertile… Enfin, et c’est la part d’autodestruction, cet oeil devient «aveugle»; oeil du père, des maîtres à penser ou des maîtres en parole, oeil du poète: peu importe: l’acte voyant est déplacé, réduit à la mémoire. L’oeil devient cadavre. (Monique Laederach)